mercredi 9 septembre 2020

Robert Brasillach (1909-1945), extrait de "Léon Degrelle et l'Avenir de Rex" - 1936


Et déjà, c'est la fin. Déjà Léon Degrelle salue, la foule s'écrie « Rex vaincra », et il se précipite au dehors, on lui jette un manteau, un foulard, il est rouge, il court au théâtre où, dans une petite pièce, il boit d'un trait un verre de bière. Puis, dans la salle où se tient le second meeting, et où M. de Grunne vient d'achever de parler, il apparaît, éreinté, souriant, et aussitôt le voilà reparti encore pour une heure, devant un autre auditoire, aussi enthousiaste, aussi attentif que le premier. Je le retrouverai à la sortie, dans l'auto qui l'amène chez un de ses oncles, habitant de Namur.C'est un charmant intérieur belge, avec une grande cheminée, une statue du Christ-Roi. Pendant que Léon Degrelle change de linge dans une autre pièce, qu'on m'explique comment on lui vole ses chemises pour en faire des souvenirs, nous buvons de la bière, nous mangeons ces énormes raisins belges qui ont l'air de venir de Chanaan. Puis, on lui montre des photographies de famille, des prêtres, des religieux et des religieuses, car il en a beaucoup parmi ses proches. Il est détendu, ravi de ce succès, tellement significatif après la manifestation de Bruxelles du 25 octobre.

- Maintenant, à partir de dimanche, nous allons tenir vingt-cinq meetings en trois semaines. Ah ! ils peuvent y aller, les types du gouvernement. En s'y mettant tous, avec les trois partis, ils n'y tiendraient pas huit jours, à ce régime.
Il envoie un jeune homme à Charleroi à deux heures du matin, et comme l'autre déclare familièrement (tout se passe entre camarades, à Rex) qu'il n'a déjà pas dormi la nuit dernière, Degrelle lui réplique rondement :
- Vous vous reposerez quand vous serez mort.
Et il ajoute à mon adresse :
- Ah ! comme je me reposerai quand je serai mort. Ce sera magnifique.
Puis, après réflexion:
- Après tout, je sais bien que non. A peine arrivé, j'aurai la moitié des saints pour moi, il faudra convaincre les autres, j'aurai un terrible travail, je fonderai un journal...
- Le Paradis réel ?
Et nous rions tous, et on nous verse d'autres verres de bière, d'une bière légère qui a comme un goût de raisin muscat. Pourtant, il faut partir : les jeunes gens de Rex-Namur attendent, et déjà ils ont téléphoné deux fois. Il faut que Léon Degrelle passe les voir avant de regagner Bruxelles, et il faut aussi qu'il prenne la grande poupée de Chantal, qu'on a déposée à la permanence. Je l'entends parler encore une fois, debout sur une table, dans une petite pièce étroite ornée de drapeaux en papier, au milieu de quatre-vingts jeunes gens qui le pressent. Ce n'est plus l'orateur des grands meetings. C'est un camarade qui s'adresse à d'autres camarades, d'une voix étonnamment douce et chaude, presque à mi-voix. Il dit qu'il est heureux, il évoque l'esprit fraternel de Rex, la jeunesse, le dévouement. Il est simple, détendu, il est ému. Tous ces jeunes gens tendent vers lui leur visage, les jeunes filles le regardent avec un émerveillement sans nom. Peut-être est-ce l'instant que j'ai préféré, dans ces images hâtives que je contemple depuis quelques heures.Et dans la nuit, tandis que l'auto rapide nous ramène à Bruxelles, il continue alors de parler,pour moi, pour lui. Je ne vois pas son visage. J'entends seulement sa voix dans l'ombre. Elle apporte avec elle mille évocations saisissantes, un envoûtement extraordinaire. Je ne sais pas ce que sera le rexisme, je ne sais pas ce que sera Léon Degrelle : tout est possible dans l'univers, même l'échec après la victoire. Mais je sais que je ne pourrai jamais oublier cette promenade dans la nuit, et ces mots magiques qui montaient d'un jeune homme mis en présence de son destin. Il n'est pas d'animateur, j'en suis sûr sans une profonde poésie. Lorsqu'il parle aux Italiens de la terre natale et d'au delà des mers, Mussolini est un grand poète, de la lignée de ceux de sa race, il évoque la Rome immortelle, les galères sur le Mare nostrum et poète aussi, poète allemand, cet Hitler qui invente des nuits de Walpurgis et des fêtes de mai qui mêle dans ses chansons le romantisme cyclopéen et le romantisme du myosotis, la forêt, le Venusberg, les jeunes filles aux myrtilles fiancées à un lieutenant des sections d'assaut, les camarades tombés à Munich devant la Felderenhalle ; et poète le Codreanu des Roumains avec sa légion de l'archange Michel. J'écoute Léon Degrelle me parler de son enfance, avec ces paroles sans apprêt qui évoquent tantôt Colette et tantôt Péguy, et je sens bien que lui aussi, il est un grand poète, qui a su capter les voix de sa terre natale. Il n'est pas de grande politique qui ne comporte sa part d'images, il n'y a pas de grande politique qui ne soit visible.

- Nous aimons le mot de communauté, dit-il. La communauté familiale, la communauté religieuse. Nous voulons construire notre communauté. Pareille à ce village que nous avons traversé tout à l'heure, tenez, ce village si spirituel, qui tourne autour de l'église avec sa route en virages, que l'église achève. Il y aura place pour tous dans notre communauté. Et c'est cela le vrai patriotisme, la vraie tradition : ce n'est pas le drapeau tricolore, les discours, toutes ces sottises. Ce n'est pas l'abstraction. Nous n'aimons pas ce qui est abstrait. Nous aimons notre terre, nous voulons voir renaitre tout ce qui y rattache l'homme. Comme l'homme est seul,dans les villes d'aujourd'hui ! Nous voulons, voyez-vous, rendre à l'homme toute sa vie, toute sa raison d'être. C'est magnifique, d'être un homme ! Mais il ne faut pas le mutiler. C'est très beau, l'intelligence, et elle est nécessaire : mais elle ne suffit pas. Nous voulons sauver l'homme dans sa totalité.
Il se tait, puis il rit doucement :
- Ne trouvez-vous pas que c'est merveilleux d'aller tenir une grande réunion, où l'on parle de choses si graves, et puis de revenir, avec, pour récompense, une poupée. A une heure du matin, sur la route...
I
l rêve, pendant que l'aiguille du compteur oseille entre cent et cent vingt, et, comme il s'en aperçoit :
- Que voulez-vous. Quand on a marché à pied jusqu'à quinze ans, c'est tout de même encore une grande volupté pour nous, la vitesse.

Et toujours, dans le glissement sans fin de la vitesse, sur les larges et belles routes, il laisse venir à lui des images paysannes et gracieuses, sa famille, le pont, la Semois, la côte en haut de Bouillon. Comme on sent bien qu'il voudrait que chacun ait son Bouillon, ses joies simples, la pauvreté qui n'est pas la misère, suivant l'admirable distinction de Péguy. Comme on sent que tout est né pour lui dans cette petite ville qui lui a donné le modèle d'un bonheur courageux et mesuré. Nous traversons les bois, les champs, en bordure de Bruxelles. Ce n'est plus le passé qui le touche alors, c'est l'avenir.
- Une ville n'est pas faite pour qu'on y vive, elle est faite pour y travailler. Ici, vous ne pouvez pas voir parce qu'il fait nuit, mais c'est magnifique. Il y a des bois, des lacs, des prairies. Nous mettrons des trains rapides, des autobus, au lieu de ce tramway ridicule qui met une heure pour conduire les Bruxellois à la campagne. Nous démolirons toutes ces masures, toutes ces réclames publicitaires. Ici, je veux que chacun ait son foyer, son jardin, sa joie. On habitera ici, on sera heureux ici. Il faut enlever les hommes aux villes. Vous verrez tout cela. Il nous faut vingt ans seulement, vingt ans nous suffiront. Vous comprenez, être ministre six mois, ça ne m'intéresse pas.
Et il ajoute, pensant sans doute à Bouillon :
- Quand on pense à ce qu'on a pu faire dans le passé, quand on pense qu'il y a eu les croisades, ces milliers d'hommes partis pour délivrer le tombeau du Christ, on ne peut plus désespérer des hommes : ils sont capables de tous les efforts.

Il parle avec un tel calme, avec une telle confiance en l'avenir... Comment ne serait-on pas d'accord avec ces évocations extraordinaires, avec cet espoir d'un monde juste et fraternel ? Je suis tout près de croire, en cet instant, ce jeune homme invisible, qui a appelé à son secours son enfance, son pays, qui m'a parlé avec tant d'émotion de la France, de son passé, de son héroïsme gracieux, et qui s'avance si hardiment vers un avenir qu'il anime, et qu'il bâtit. Je l'avoue, je m'intéresse d'abord à la figure que forment dans le temps et dans l'espace les êtres humains. Et rien ne pourra faire jamais, même si je devais être déçu sur certains points, que cette figure ne m'ait paru saisissante, et d'une beauté originale. Quand je le quitte, dans la nuit, je me dis que nous pouvons attendre quelques mois encore avant de savoir ce que la chance apportera à Léon Degrelle. Mais nous pouvons dire à présent qu'il est prêt pour la rencontre de cette chance.

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