vendredi 8 juillet 2016

Léon Degrelle et le nationalisme flamand.


I. Les Flamingants.

Pour les nationalistes flamands, l’affaire est
entendue : Léon Degrelle n’est qu’un « Wallon unilingue, […] en réalité toujours resté insensible aux problèmes flamands » (Encyclopedie van de Vlaamse Beweging, Lannoo, 1973). Comme cette antienne est régulièrement reprise aujourd’hui encore par la presse nationaliste flamande (voir le blog « Dernier Carré – Léon Degrelle » sur http://lederniercarre.hautetfort à la date du 10 juin 2016), nous donnerons ici toutes les pièces du dossier permettant de suivre l’évolution de la pensée de Léon Degrelle face à la question flamande.

Car il est vrai que, dès son adolescence, son patriotisme afficha un inconditionnel attachement à tous les symboles de la Belgique, n’hésitant pas à faire le coup de poing contre les flamingants qui les conspuaient à l’université. C’est ainsi qu’il rend compte, dans L’Avant-Garde du 24 novembre 1927 des incidents ayant émaillé un meeting patriotique organisé par la Fédération Belge des Etudiants Catholiques et perturbé par « la canaille moscoutaire […] envoyée par les salonnards rouges de Bruxelles ». Et Léon Degrelle d’observer que « le malheur est que des flamingants ont eu le triste courage de se mêler à ces individus nauséabonds : cette alliance ne leur fait pas honneur », avant de conclure : « Qu'importent, après tout, les coups les insultes, les blessures, puisque le but principal fut atteint: montrer que la jeunesse catholique universitaire veut servir la Patrie envers et contre tous. Et qu'elle est prête à tous les sacrifices que peut réclamer la défense du Pays qu'elle aime et qu'elle veut libre, puissant et fier ! »


C
e patriotisme intransigeant saura rapidement se nuancer de l’indispensable respect des aspirations culturelles et politiques des Flamands que Léon Degrelle ne manqua pas de fréquenter et de vouloir comprendre. C’est ainsi qu’en 1929, toujours étudiant, il publia, aux éditions de sa revue louvaniste, "Les Flamingants" qui, malgré la conviction réaffirmée que la question linguistique pouvait et devait se résoudre dans le cadre d’une Belgique unie, résonna déjà comme un coup de tonnerre dans le ciel politique belgicain.



La recherche honnête d’une véritable solution à la question flamande s’est également manifestée par la publication dans L’Avant-Garde de la Confession d’un Flamingant, par un jeune Flamand, étudiant en droit… Alfons Vranckx !

Alfons Vranckx (1907-1979) connaîtra son heure de gloire après la guerre en tant que ministre de l’Intérieur, ministre de la Justice et ministre d’Etat. Car ce « flamingant » allait rapidement virer sa cuti nationaliste pour aller brouter une herbe autrement roborative, celle du parti socialiste. Sa figure de proue, à l’époque, était certes Henri De Man, le théoricien prophétique du Plan du Travail
mais Vranckx, député depuis 1936, nommé bourgmestre de sa commune de la banlieue louvaniste après la capitulation de 1940, eut le sage opportunisme de ne pas trop manifester alors de soutien à son chef de file qui avait osé constater : « Pour les classes laborieuses et pour le socialisme, cet effondrement d’un monde décrépit, loin d’être un désastre, est une délivrance »…

Rien à voir avec l’évolution du sentiment national de Léon Degrelle, qui le poussa, en pleine ascension victorieuse de Rex, à signer, le 5 octobre 1936, un premier et historique accord politique avec les nationalistes flamands du Vlaams Nationaal Verbond (VNV), puis, le 10 mai 1941, à signer un nouvel accord, toujours avec le VNV, afin d’organiser le pays en temps de guerre.

Ces accords –visionnaires puisqu’ils préfiguraient, en mieux, l’organisation fédérale de la Belgique des années 70, cadenassée par des « lois linguistiques » exacerbant les rancœurs– eussent pu empêcher la lente déliquescence de l’Etat belge, en ce qu’ils ne réduisaient pas le nationalisme à sa seule dimension linguistique, mais l’appuyaient sur l’histoire commune des populations thioises et romanes, héritières des Dix-Sept Provinces que Joris Van Severen rêva de ressusciter en Dietschland et que, sous le nom de Bourgogne, Léon Degrelle parvint à faire admettre au sein du Troisième Reich.


***

Les Flamingants.



A la mémoire d’Yves De Haene, étudiant de notre université catholique, abattu, à coups de matraque, en pleine ville de Louvain, décédé à la suite de ses blessures le 30 novembre 1927. Innocente victimes de nos luttes fratricides.
- Léon Degrelle


Lettre-préface de Mgr. Picard

Mon cher ami,

Vous avez bien raison, en écrivant votre dissertation sur la question flamande, de craindre les critiques et les invectives. Je les ai vues, en vous lisant, venir de toutes parts, comme une grêle de traits.

Et ce sera la preuve, une fois de plus, que la question flamande n'est pas abordée généralement avec la sérénité et l'impartialité qu’il conviendrait d'y apporter. Car enfin, vous ne proposez pas de solutions précises et concrètes. Vous avez parfaitement compris que ces solutions doivent s'appuyer sur une documentation très riche et sur une étude approfondie, que vous n'avez pas la prétention d'inscrire déjà à votre actif.

Vous vous êtes contenté de décrire, et avec quelle chaleur communicative, l'esprit dans lequel nous devrions tous, Flamands et Wallons, étudier, discuter et enfin trancher les problèmes dont la solution est devenue plus difficile à mesure qu'on l'esquivait et la renvoyait aux calendes... néerlandaises.

Si vous réussissez, comme je le souhaite et comme je l'espère, à orienter vers ces problèmes, avec la sympathie et la générosité que respire votre étude, quelques jeunes esprits de Flandre et de Wallonie, vous aurez bien servi les intérêts supérieurs du pays et pourrez vous tenir largement dédommagé des avanies auxquelles vous vous exposez et que, peut-être, je risque de partager pour vous avoir écrit ces lignes d'amitié et de sincérité.

Louis PICARD.




Ma main tremble bien un peu en inscrivant ce titre...

C'est une de ces questions qu'on peut traiter avec autant de bonne volonté et d'objectivité que l'on veut: infailliblement on se fait houspiller par les uns et par les autres ! Je sais ce que je risque en abordant ce problème en public. Cela me vaudra sans doute des antipathies. Je m'en console... Quel réconfort peut donner l'affection basée sur l'hypocrisie et sur la couardise... ? Je préfère les amitiés et les inimitiés du combat.

Et surtout je me dis que le silence aggrave chaque jour le malentendu et le mal.

Il en est de la question flamande comme de la question ouvrière. La mèche est tout près de la bombe, elle fume déjà: nous ne faisons rien pour la couper ou pour décider celui qui la tient à l'éteindre...

Le socialisme a failli nous faire sauter: allons-nous risquer une fois de plus l'aventure ?

De notre côté comme du côté flamand, on ne se connaît pas: si nous lancions dans le fossé qui nous sépare tous les préjugés que nous portons, le terrain serait bien plus vite aplani que ne le croient certains pessimistes.

Un mouvement profond fait battre à grands coups le cœur d'une race.

Un peuple sort d'un long sommeil et se dresse, rajeuni, sur le sol qu'il vénère.

Il crée, avec sa foi et avec sa fierté, un visage nouveau à Nele, la Mère Flandre.

Il lui donne un cœur et un esprit pour admirer les incomparables chefs-d'œuvre que la plume, le pinceau, la truelle et le burin ont fait jaillir sur le sol des aïeux, pour aimer chaque coin du pays où saigna l'orgueil de la race, dans les combats pour la liberté !

T
erre où la richesse s'en va mais renaît sans cesse, d'Ostende à Anvers, d'Anvers à la Campine, tu ne pouvais croupir dans l'indolence des impuissants et des timides...


Les exclamations de tes jours victorieux, les soupirs des soirs de tristesse et de carnage, devaient réveiller tes enfants: les voilà qui se lèvent aujourd'hui, beaux et féroces, tellement ardents qu'à certains jours ils confondent l'intolérance et la fierté et effraient ceux qui les regardent par les prétentions et les excès que leur dicte ce jeune amour.

Il en est pour nier l'importance de ce renouveau.

Ils parlent de Gand... Ils parlent du peuple... Qu'ils viennent, ceux-là, faire un tour à Louvain : ils verront qu'une fameuse armée d'étudiants portent le large béret roux. Demain ces centaines d'universitaires, formant un faisceau ordonné à côté de la masse amorphe, seront autant de chefs répandus à travers la Flandre.

Ces jeunes gens, on ignore tout, ou à peu près, de leurs convictions.

Jadis le flamingant était un type qui cognait et que l'on cognait. Maintenant le bâton a perdu sa primauté et l'étudiant à « flatte » passe pour un doctrinaire entêté qui méprise sa Patrie et qui a des traîtres pour héros.

Il y a sans doute quelque chose de vrai dans cette accusation simpliste. Mais voir dans le flamingantisme un mouvement uniquement politique est une erreur grossière. Il s'agit, avant tout, de la langue, des mœurs, de la civilisation d'une race qui a dû frapper avec énergie sur la table parce que nos politiciens se collaient des matelas sur les oreilles et refusaient d'entendre les revendications, justes et modérées, du début.




C'est assez bien, dans son principe, un régionalisme à la Mistral ou à la Barrès.

Etre fier de sa maison natale, aimer les champs qui voisinent la route où passe une charrette lourde sous la protection de grands peupliers, l'étang où les canards glissent entre les roseaux aigus et le miroitement du ciel...

On s'attache au parler, aux habitants, à leurs habitudes, à leurs morts... L'horizon s'agrandit et s'élève; c'est bientôt toute une culture qu'on veut servir, une histoire dont on veut être digne, c'est tout un passé et tout un avenir.

Le peuple flamand, voici quelques dizaines d'années, vivait dans une sorte de torpeur morale et spirituelle; les énormes racines n'amenaient plus le suc des siècles et des génies. Un jour est venu où quelques intellectuels, des poètes et des hommes jeunes, se sont rendu compte de cet engourdissement et sont grimpés sur la cime des arbres pour sonner le réveil dans les plaines et dans les cœurs !

Qu'y avait-il en cela de répréhensible ? C'est ce sens, cette compréhension du Terroir qui fait la noblesse d’un peuple. Pour nous, Wallons passionnés, il est très doux d'apprendre que sur cette partie du territoire à laquelle nous tenons tous, non par le sang ou par la langue, mais par le cœur, par des souffrances communes et par des nécessités inéluctables, fleurit une très belle Renaissance.

Après avoir contemplé ce spectacle, au lieu de récriminer comme font certains des nôtres, jetons les yeux plutôt vers nos fleuves, nos rivières, nos clochers et demandons-nous: aimons-nous assez notre Wallonie et l'aimons-nous bien ?

N
ous osons à peine prononcer ce mot.

Seuls des philologues grotesques et des archéologues plus vieux que leurs dalles funéraires, leurs quinquets, leurs peignes, leurs ossements d'aurochs et leurs poignards en corne, s'occupent parfois du pays natal.

P
ourquoi, Liégeois, Namurois et Borains, gens des Fagnes humides, des terres grasses du Condroz ou des landes moroses d'Ardenne, pourquoi gardez- vous ce silence humiliant et vain ?

Avez-vous oublié vos martyrs, vos héros, vos artistes, vos grands hommes ?

L
a terre que vous foulez n'est-elle pas la vôtre et pourquoi donc n'en seriez- vous pas fiers ?

O
ù sont les souvenirs fameux ? Qui nous rappellera la vaillance et l'opulence de nos villes, depuis des siècles, les sièges subis, les coups donnés pour la défense du pays et de la Foi par nos glorieuses bandes wallonnes, nos industries si pittoresques et parfois si pénibles, la dinanderie sur la Meuse, les forges en Gaume, les porcelaines du Tournaisis, la boissellerie liégeoise, les ardoisières en Ardenne, les charbonnages du Pays noir... ?

Qui chantera l'élan de nos clochers perdus dans les campagnes, les mots savoureux et neufs de nos patois locaux, nos fleuves légers, pimpants, lumineux, faisant glisser le long des berges toute la douceur et la mesure de l'âme latine… ?

***
Rien ne bouge... Pas le moindre bruit dans nos vallées... Tout dort.

N
ous portons bien, nous, les gars du Luxembourg, le sanglier à notre toque; les nôtres ont un respect et un amour mystiques de leurs forêts et de leurs montagnes: mais c'est tout.

Pas d'ardeur chez nos intellectuels. Des peintres, des poètes, des sculpteurs, des musiciens, il y en a dans toutes nos villes et nos bourgades mais nul ne sonne le rassemblement. Le Coq de Wallonie est-il donc empaillé ? A quand son cri victorieux et fier dans une aube nouvelle ?...

R
enaissance ne veut pas dire uniquement retour aux vieilles choses.

Il faut se rattacher au passé mais non point se mettre dans sa peau tannée. Ranimer une race ne signifie pas réintégrer les vieux bahuts, les lampes à pétrole, les plats de cuivre ou d'étain et les in-folio poussiéreux. Ce qu'il faut c'est produire à son tour de l'utile et du beau avec les instruments propres au temps où l'on vit.

Le cas flamand est instructif ce sujet.

Au point de vue industriel et commercial, il s'agit maintenant d'avoir des organismes complets, rapides, hardis, puissants, disposant de millions, d'édifices, de machines, de chefs. C'est ce que savaient les Flamands en lançant le Boerenbond, association gigantesque, magnifiquement réglé malgré la multiplicité de ses rouages; c'est un bloc; il est maître en sa terre; le paysan flamand peut, grâce à lui, cultiver en paix: il aura sécurité, respect, débouchés et richesse.

Même tactique à propos des Lettres et des Arts.

Admirer les Maîtres Anciens, c'est bien mais cela fatigue. Les imiter, c'est sans mérite: c'est du mécanisme et non de l'art. L'art c'est la création. Pour marquer une époque, il faut du beau qui soit du nouveau.

L
es Flamands serrent dans leurs poings solides le drapeau de l'Art moderne, simple, sobre, préférant la ligne aux fioritures, le symbole aux photographies, premier stade d'une grande époque classique en fermentation.

Au théâtre, leur Vlaamsch Volks-tooneel, troupe admirable, la meilleure du monde affirme-t-on, est d'une audace qui même parfois déconcerte. Mais au moins ces gens-là vous transportent ! C'en est fini, après les avoir vus, des vieux procédés désuets, sans spontanéité ni sincérité, du théâtre de nos pères.

I
l reste un terrain où notre siècle a changé bien des choses: c'est la politique.

Les Flamingants n’ont point manqué de lancer leur Lion sur elle.

Ils le devaient bien d'ailleurs puisqu'en nos temps de suffrage universel, c'est à la propagande à travers le pays qu'il faut avoir recours si l’on veut imposer son programme et faire respecter ses droits.

Cela nous montre une fois de plus la nuisance de notre régime de démocratie politique où tout résultat réclame, au préalable, une agitation générale et prolongée. Un Roi fort eût pu résoudre la question flamande sans exciter les passions populaires: cela n'est plus possible à notre époque où chacun prétend s'installer à l'œil de bœuf du Palais de la Nation.

Aussi les diverses lois arrachées par les Flamands furent-elles précédées et suivies de polémiques, de disputes et de batailles au cours desquelles un tas d'ignorants jouaient du museau et du poing sans savoir bien exactement pourquoi. Il était très amusant de se promener en Luxembourg après le débat Gand-flamand; le boucher, le cordonnier, le maréchal-ferrant, le bedeau et leurs épouses respectives geignaient intarissablement à propos de la fameuse loi; il n'y avait qu'un moyen pour couper court à la discussion: leur demander de quoi il s'agissait !

Maintenant encore on considère trop les Flamands comme une peuplade sauvage et sans intérêt, parlant un charabia qui ne mérite aucune attention.

L
eur langue ne vaut pas comme portée, comme influence, le français, soit, mais elle est cependant un bel instrument littéraire et peut traduire les émotions graves beaucoup mieux que les langues légères du midi. D'ailleurs nous sommes citoyens belges et non citoyens du monde. Pour quatre millions d'habitants le flamand est, en Belgique, la langue véhiculaire; par conséquent, il s'impose chez nous. Ce qui n'est pas permis aux Provençaux, contingent minime du peuple français, l'est à nos concitoyens du Nord qui constituent plus de la moitié de notre population.

Les Flamands peuvent donc employer leur parler et le réclamer dans leurs rapports avec l'Etat.

Ils ont le droit de savoir pour quel motif un juge les poursuit ou les condamne, sans devoir recourir à un interprète. Allant en Flandre, nous exigeons des fonctionnaires qu'ils sachent le français: pourquoi l'indigène des Polders ou de la Campine ne pourrait-il pas obtenir au Namurois ou au Luxembourg quelques mots en sa langue maternelle ? Est-ce si difficile ? On a proclamé à la tribune du Parlement qu'il est impossible à un jeune wallon de s'assimiler la langue flamande ! Vraiment ! Nos politiciens s'y entendent pour décocher à leurs électeurs des brevets de stérilité cérébrale !

Nos aïeux étaient moins paresseux à la peine. Mon cher ami Fasbender me disait que jadis les échevins de Liège écrivaient à leurs collègues gantois en vieux flamand (thiois) et que ceux-ci leur répondaient en français: voilà qui est charmant ! Sachons imiter la courtoisie et la bienveillance de nos pères.

C
ependant tous les Flamands sincères doivent reconnaître que, parmi leurs concitoyens de langue française, il en est un bon nombre qui, ayant saisi le bien-fondé de ces revendications, essayent, très sérieusement et sans rancœur, de contenter ceux qui les formulent.

D'abord ils ont voté une série de lois qui leur donnent gain de cause sur bien des chapitres, notamment aux points de vue judiciaire, administratif et instruction publique: Gand-flamand ne parvint à triompher que grâce aux voix de députés wallons !

En outre, que n'a-t-on pas fait, en dehors des limites légales, pour satisfaire leurs désirs ? A Louvain notamment où la plupart des cours ont été dédoublés, malgré les énormes dépenses que réclamaient ces améliorations.

Cependant les flamingants bougonnent, fulminent contre les autorités universitaires ! Ils ne peuvent tout de même pas exiger la révolution du jour au lendemain. On va le plus vite possible, mais il faut de l'argent (et ils font tout pour arrêter les dons), des bâtiments, des professeurs et... des élèves.

En criant trop fort ils commettent des injustices.

Ils bousculent des gens pleins de bonne volonté.

Ils mécontentent ceux qui leur étaient sympathiques.

Ce sont leurs excès –et nulle autre cause– qui provoquent l'hostilité pénible qu'ils rencontrent parfois à présent.

Considérez un peu, mes chers amis flamands, la situation d'avant-guerre et celle de ce jour: n'est-elle pas pour vous beaucoup meilleure ? n'a-t-on pas fait chez nous des efforts très sincères ?.... même ne sommes-nous pas, à cette heure privés souvent, à votre profit, de bienfaits qui nous revenaient justement ?…

Alors pourquoi faire la grosse voix et toujours vous fâcher ?

A celui qui mettrait en doute l'affirmation que j'avançais au début de ce travail, à savoir que la politique n'est pas la raison supérieure du mouvement flamingant, je répondrai en établissant sous quelles formes se manifeste leur irritation.

Si, sur le terrain culturel, ils sont tous d'accord, une fois sur le terrain politique, c'est une série de propositions contradictoires: or, c'est le but commun qui fait toute unité.

La plupart se désintéressent de la Belgique; une espèce de mysticisme romantique tient place en eux d'amour de la Patrie: Borms, personnalité assez floue, qui, une fois libéré, perdra bien vite son auréole, est à belle place dans leur affection.

Chose assez bizarre, cet homme est défendu par l'unanimité des étudiants flamingants.

Il est, disent-ils, plein d'idéal et de courage; une seule concession de sa part lui vaudrait la liberté et le retour auprès de son vieux père, de sa femme et de ses enfants; malgré cela, il tient bon, martyr de son dévouement à la Flandre.

Il y a dans ce stoïcisme de quoi attendrir. Mais si au foyer de Borms, on se désole, si les années d'emprisonnement pèsent lourdement sur les épaules du forçat, n'oublions pas que d'abord il ne l'a pas volé, ensuite que bien des mères –des mères flamandes autant que des mères wallonnes– pleurent elles aussi, pleurent les enfants ou l'époux tombés sous les balles de ceux que Borms encourageait par son défaitisme. Sans lui, la lassitude allemande fût venue plus tôt et il est des tombes qui ne jalonneraient-pas la triste rivière de Flandre...

Des flamingants plus décidés veulent la séparation.

Les uns se contenteraient d'une séparation administrative.

Que pourrait bien gagner la Flandre à ce régime ? La culture wallonne n'y perdrait rien, car la langue française s'imposera toujours à tout homme cultivé du continent. Par contre, la culture flamande perdrait bien vite toute influence en Wallonie où fonctionnaires, commerçants, hôteliers et surtout intellectuels se sont mis à étudier, sans grand enthousiasme, il est vrai, le néerlandais.

D'autres, pour n'avoir que des Flamands chez eux, préfèrent la séparation tout court.

Ceux-là restent vraiment les fils des hommes de Gand, de Bruges, de Furnes, de tous ces communiers libertaires et intraitables qui ont payé bien cher toutes leurs tentatives d'émiettement.

Nous sommes entourés de voisins aux aguets ! Tous nous convoitent, au Sud comme au Nord ! Nous sommes peu nombreux pour défendre la porte d'entrée... et ils voudraient la dédoubler !

Voyez-vous la prochaine guerre où nous opposerions deux armées, l'une flamande, l'autre wallonne, sans communauté nationale et sans lien ? Nul ne voudrait marcher avant l'autre, défendre une part qui n'est pas la sienne: on les croquerait séparément en un clin d’œil.

Cette passion de la division fit la ruine de la Grèce; la Flandre lui doit ses plus cruels désastres; veut-elle les rééditer demain en se privant volontairement de l'appui de millions d'hommes qui ont à son égard une sympathie fraternelle, avec la perspective d'un morcellement progressif qu'amèneraient inévitablement les éternelles divisions entre villes flamandes ?…

***

S
i un certain fédéralisme est possible et même désirable chez nous, ne nous laissons pas cependant aveugler par l'exemple de la Suisse: là il y a une multiplicité de cantons qui, sur le terrain économique, ne dépendent pas intimement les uns des autres; ici nos deux contrées, pourvues déjà d'institutions fort décentralisées, provinciales et communales, sont étroitement solidaires; au point de vue intérieur, nous sommes faits les uns pour les autres; les mêmes fleuves descendent à travers nos terres; le commerce wallon et l'industrie wallonne enrichissent la Flandre qui leur fournit un débouché rapide; oublie-t-on que 55% du commerce d'Anvers est wallon ? Un formidable réseau de routes, de canaux, de chemins de fer nous ficelle les uns aux autres : ce sont les artères du corps-Belgique. Un budget commun et une administration commune sont nécessaires pour régler l'organisation de ce trafic et réaliser les grands travaux utiles aux premiers comme aux seconds.

Quel flamingant voudrait amoindrir sa terre natale ? Il le ferait en la privant des ressources de Wallonie...

A quoi servent les grands bâtiments de la ferme s'il n'est plus de froment ni de foin à engranger ?

La dernière solution c'est... le rattachement à la Hollande.

F
landre et Hollande participent à une même communauté linguistique et intellectuelle, c'est entendu. Mais où serions-nous si tous ceux qui se ressemblent devaient s'assembler ! La carte du monde subirait un monumental chambardement.

Nous autres, Wallons, nous jouissons bien de la splendeur de la civilisation française; ce fruit merveilleux, mûri par des siècles de labeur et de gloire, nous le portons à nos dents chaque jour; il nourrit en nous ce qu'il y a de plus humain. Est-ce à dire que nous envisageons une union politique avec la France ? Pas le moins du monde ! Nous aimons sa civilisation mais nous redoutons sa politique. Nous savons participer à sa culture sans, pour cela, devoir nous plier sous son joug.

La Flandre peut parfaitement faire de même; c'est tout à son avantage; chez nous, elle tranche par son originalité et sa majesté; en Hollande elle serait une simple molécule jouissant d'une considération bien moindre qu'en Belgique: le même sort nous échoirait si nous devenions province française.

D'ailleurs pourquoi de tels projets ?

A
supposer que la Hollande s'y prête –et elle n'y paraît pas le moins disposée– jamais l'Europe ne tolérerait pareil changement. L'Angleterre redouterait l'accroissement de la puissance maritime hollandaise; France comme Allemagne craindraient de voir ce gros bloc s'allier un jour à leur ennemi; la paix de l'Occident en serait compromise.

Il est une autre raison qui, à elle seule, doit suffire pour écarter cette idée de l'esprit de tout catholique flamand: c'est le problème religieux.

L
e fait que certains flamingants n'y prennent point garde est typique et montre bien que chez eux la Foi n'a plus la place qui lui revient.

Ce peuple profondément croyant, fasciné qu'il est par un amour, juste en son principe, de sa terre et de sa civilisation, en viendrait-il à concevoir pour elles une forme politique où la religion serait amoindrie ? Car il est incontestable qu'en régime hollandais, pétri de protestantisme, la foi flamande perdrait –brusquement ou insensiblement– cet éclat qui aujourd'hui émeut nos cœurs de chrétiens. Les Hollandais seraient les premiers à refuser l'union si leurs croyances pouvaient s'affaiblir au contact du peuple flamand.

L
e point de vue culturel et politique domine chez nos pan-néerlandais le point de vue religieux. On se préoccupe exclusivement du premier, sans souci du second. On fait de grands congrès avec des incroyants hollandais mais on refuse d'assister à nos assemblées religieuses. Cet excès de nationalisme rejoint la ligne de L'Action française et de Mussolini: s'il persévère, il subira tôt ou tard les foudres pontificales.

Allons donc, amis flamands, souvenez-vous que vos frères wallons sont des catholiques romains et que le Christ est honoré sur leurs montagnes. Souvenez- vous que jadis, en des jours sombres où les Hollandais, à qui vous tendez les bras, voulaient écraser les croyances de la Mère Flandre, ce sont les fils de Wallonie qui vous ont conservé, au prix de leur sang et des larmes de leurs mères, la foi simple et vivace de vos aïeux.

La base catholique est éternelle: elle doit compter avant toute autre chose pour un peuple croyant comme le vôtre.

J
e plains les Flamands si la politique, hier leur servante, devient tout-à-coup leur maîtresse.

I
ls en oublieront leur idéal. Ils seront le jouet de politiciens plus au moins reluisants et Nele sera reléguée à la cuisine.

L
es meneurs, pour le plaisir de semer la discorde et la haine, de se hisser sur un pavois, leur feront déserter les régions sereines où ils travaillaient à faire mieux comprendre, mieux respecter et mieux aimer leur terre, leur race et leur culture.

Et l'inévitable répression confondra les meneurs sans scrupules et le bel idéal primitif des bons Flamands.

Qu'à l'occasion, ils fassent prévaloir leurs volontés dans nos assemblées nationales, c'est très bien. La situation est loin d'être parfaite; qu'ils proposent des modifications: si elles sont heureuses, on se fera chez nous un devoir de les soutenir.

Mais qu'ils cessent donc de voir partout des ennemis alors que tous les Belges éclairés leur veulent seulement du bien. Qu'ils mettent fin au flot d'injures qu'ils déversent à chaque instant sur leur Patrie. Seule la communauté belge peut leur assurer la richesse, la paix et le libre développement de leur civilisation. Et puis, il est tant de souvenirs pour les attacher à cette Patrie: depuis des siècles, depuis César, Belges du Nord et Belges du Sud ont mêlé leur sang pour défendre la liberté de leur terre et de leurs consciences; nos deux races, à travers les discordes, les guerres, les révolutions, les malheurs et les ruines, se sont toujours retrouvées pour rebâtir les cités et les défendre.

Peut-on renier ses aïeux, mépriser ainsi tout un passé de peine et de travail ? Non n'est-ce pas, mes chers amis flamands.

V
os aînés du Boerenbond n'ont jamais eu l'idée de le faire: ils s'intitulent, non Vlaamsche Boerenbond, ni Nederlandsche Boerenbond mais Belgische Boerenbond et, au début de leurs assises, retentit la Brabançonne...

N
ous n'avons pas la même langue et la même culture que vous... Qu'est-ce à dire ? Devez-vous les boycotter et en effacer toute trace de Flandre ?

U
n homme élevé, qui a de l'idéal dans les yeux, ne méprise et ne repousse jamais ce qui est beau. Au contraire, il fait tout pour s'en approcher. Le Flamand, jusqu'à présent, ne manquait pas de prendre chez nous le meilleur de notre mentalité: l'en empêcher serait un crime contre l'esprit.

La Hollande se défend bien d'un tel exclusivisme. La langue et la civilisation françaises y jouissent d'une diffusion remarquable. Au lieu de s'opposer à l'esprit qui souffle de France, on se fait un honneur en Hollande de connaître la littérature française, même les auteurs les plus modernes.

P
ourquoi vouloir à tout prix tuer, à l'école et à l'Université, tout vestige de l'influence intellectuelle de Paris alors que tant de Flamands désirent ne point arrêter leur appétit intellectuel à leur frontière linguistique... Cela n'a jamais fait de tort à personne d'être au courant de la langue et des mœurs de ses voisins. L'homme doit saisir le vrai, le bien, le beau, partout: son âme est une antenne de T. S. F. dont la raison est de capter les ondes de l'univers.

L
a question des langues est ainsi le seul point qui nous sépare, à côté de tant de choses qui nous rapprochent ou qui devraient nous rapprocher. Et même, nous séparer, c'est trop dire. Les foyers les plus unis sont ceux où les tempéraments diffèrent: cela leur permet de doubler leurs chances de bonheur.

Au confluent de deux civilisations, nous avons le privilège de pouvoir jouir de l'une et de l’autre. Pourquoi donc ne pas nous accouder gentiment à ce festin que tous les peuples du monde nous envient ?

Gardons notre personnalité. Sans chercher à réaliser un mélange culturel impossible, genre marécage bruxellois, vivons côte à côte, en nous passant, le sourire aux lèvres, tous nos plats régionaux ! Mais, de grâce, plus d'assiettes à la tête ! Inutile de nous manger: nous avons assez de mets au double banquet national !

M
ettre en contact l'âme flamande et l'âme wallonne au sein de la Patrie Belge doit déchaîner, au lieu d'un combat fratricide, une magnifique émulation. Elle ne peut –si on la comprend bien– que grandir les uns et les autres et multiplier sur le sol sacré de la Belgique, les foyers où brillent, non seulement la richesse dorée, mais aussi les Lettres, les Arts, les Vertus du Pays et son dévouement absolu à l’Eglise Catholique et Romaine.




Cet exemplaire de la brochure Les Flamingants a été dédicacé par Léon Degrelle au soir de sa vie. Elle est sans appel sur les sentiments qu’il a toujours nourris pour les Flamands.
« Cette petite brochure, quand même, signifiait beaucoup : le geste de fraternité qui voulait défendre une cause juste, celle des Flamands. Il fut le premier, et les Flamands ne l’oublièrent point ! Et moi, toujours, je resterai un Flamand de cœur,
Léon Degrelle »

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