mercredi 27 juillet 2016

Léon Degrelle et le nationalisme flamand.



III. La question flamande
Pour en finir avec la politique de l'autruche


Tandis que dans le pays la question flamande reste un sphinx, sur lequel sont tenus les propos les plus incohérents et les plus véhéments, Louvain a repris son aspect paisible. On ne se bat plus. On ne s'injurie plus. Au contraire: des brochures paraissent coup sur coup, venant des groupes extrêmes; des discussions s'amorcent, des réunions se prolongent... A prendre contact on s'aperçoit, comme tant de Belges auraient pu le faire plus tôt, qu'il existe bien des points communs, qu'un chambardement n'est pas nécessaire, qu'une compréhension cordiale peut arranger bien des choses.
Déjà, des points de rapprochement s'établissent et laissent entrevoir un accord. Ce sera la fierté de L'Avant-Garde d'avoir favorisé un débat aussi nécessaire.


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Les Flamands d'expression française avaient déjà précisé leurs positions.
Il nous restait à connaître les revendications, et même les menaces des étudiants flamingants.
– « Ils ne répondront rien », nous disaient les uns...
– « Ils vous casseront la gueule », précisaient les autres.
Nos gueules se portent bien, et les Flamands ont répondu.
Ils ont compris que si nous écrivions certaines bêtises, du moins nous avions le désir absolu d'examiner le bien-fondé de leurs griefs et, le cas échéant, d'unir nos forces aux leurs, pour obtenir la reconnaissance de leurs droits, collaborer à l'épanouissement de leur culture et à la renaissance de leur race.
Au débat engagé par nos soins, nous voulions donner le plus de largeur possible. C'est pour cela que nous avons publié La Confession d'un Flamingant, d'Alphonse Vranckx.
Le malaise provient de l'ignorance où nous sommes des griefs de nos prétendus adversaires, de leurs aspirations et des théories qui sont à leur base. Laissons les Flamands vider leur sac. C'est le seul moyen de savoir quelles sont les bombes qu'il contient.

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Bien souvent, on a parlé du vague des revendications flamandes. Dernièrement encore, M. Charles d'Ydewalle écrivait à ce propos dans la Nation Belge un excellent article qui contraste singulièrement avec les fanfaronnades antérieures de ce journal.
Il y a certainement une forte dose de romantisme dans les déclarations des flamingants. Ils s'imaginent trop vite qu'ils sont des martyrs. Ils ont, quand ils parlent ou écrivent, des attitudes d'opprimés perpétuels.
Il ne faut point cependant s'imaginer que tout chez eux est romantisme. Les grandes lignes de leurs revendications sont nettes. Ils savent ce qu'ils veulent. La brochure de Vranckx en fait foi.
Ils veulent avant tout, comme ils le disent, vivre selon leur personnalité, selon leur culture. Le peuple hollandais, à côté d'eux, est parvenu à s'épanouir avec les mêmes éléments de civilisation. Comme l'explique notre ami Luc Scholler dans la Cité Chrétienne:
« La culture flamande a toutes les qualités qu'il faut pour élever un peuple à une vie plus noble et plus belle, pour le civiliser.
Il ne serait pas raisonnable de tirer prétexte de l'état actuel des choses pour mettre en doute la valeur, les ressources de la culture flamande. Il faudrait établir au préalable que rien n'empêche ses progrès, que rien ne s'oppose à son épanouissement. La question flamande n'existerait pas, en effet, si la culture flamande avait toujours disposé des moyens qui lui sont indispensables pour remplir avec quelque chance de succès sa mission civilisatrice.
Il ne s'agit pas de savoir non plus si la valeur absolue d'une autre culture passe celle de la culture flamande. La question est de savoir quelle est la culture qui puisse contribuer le plus efficacement à une ascension, à un développement rapides, aisés, harmonieux du peuple flamand. »

A
joutez aux préoccupations culturelles les préoccupations sociales: confinée dans sa culture française, l'élite flamande a trop souvent approfondi le fossé qui la séparait du peuple.

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Nous en arrivons ainsi au nœud du problème, de tout le problème: la question de l'enseignement.
Car tout découle de là.
Tous les domaines: la vie publique, administrative, judiciaire, économique, commerciale et culturelle, échappaient à l'ambiance proprement flamande.
L'élite ainsi séparée du peuple, par une langue qui lui est étrangère n'est pas à même de remplir sa mission sociale: contribuer à l'élévation de la masse au milieu de laquelle elle vit. Certes les rapports personnels entre cette élite et le peuple différent peu de ce qu'ils sont en Wallonie. Le mal réside plutôt dans ce fait que l'accession du peuple flamand à une vie supérieure n'est possible que par le truchement d'une langue qui ne correspond pas à son génie et à son originalité.
Le but est donc clair: obtenir un enseignement flamand qui assure une culture intégralement flamande, du haut en bas de l'échelle sociale, en pays flamand.
Mais le moyen ?
Vranckx prône les solutions radicales: l'intervention de la loi afin que tout l'enseignement officiel et libre subsidié par les pouvoirs publics soit donné en flamand.
En principe, pareille revendication est soutenable. Faisons remarquer cependant que dans le domaine des réalisations, si elle n'est pas adroitement et progressivement engagée, de violentes résistances, tant de la part des éléments wallons et bruxellois que de la part d'une minorité respectable de Flamands d'expression française risqueront d’en compromettre l'aboutissement.

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Un grand apaisement est nécessaire pour régler une question aussi irritante. Cet apaisement, ce n'est pas au Parlement qu'il est possible de l'obtenir, mais bien dans la sphère plus restreinte, plus proche des réalités des Conseils Provinciaux et Communaux. Là, les frictions entre Flamands et Wallons seraient totalement écartées au plus grand bénéfice de la concorde nationale. Les Flamands pourraient donc ainsi, décider librement, entre eux et pour eux, du régime linguistique des populations de leur ressort.
Une loi constitutionnelle si possible, ou du moins organique:
1) confierait aux Conseils communaux le soin de décider du régime linguistique applicable dans les écoles primaires, officielles ou libres subsidiées par les pouvoirs publics;
2) Les Conseils Provinciaux auraient la même compétence en ce qui concerne les écoles moyennes, collèges et athénées.
3) Un régime particulier devrait être élaboré pour l'agglomération bruxelloise.
4) Quant aux université, Gand serait totalement flamandisé. Louvain, poursuivant la voie où Mgr Ladeuze s'est engagé serait dédoublé intégralement et progressivement.
Ces réformes en matière scolaire sont les seules possibles actuellement. Quand elles auront été édictées, puis réalisées pendant un certain nombre d'années, et qu'une nombreuse élite flamande d’expression flamande se sera constituée, alors, mais alors seulement, on pourra envisager des réformes plus profondes dans tous les domaines de la vie publique, et notamment en matière judiciaire. Alors seulement, une évolution dans le sens de la flamandisation pourra se faire dans les domaines économiques, culturels et sociaux.

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Il est ridicule de prétendre que la langue française soit le ciment de la nationalité belge, qu'elle supprimée, le bâtiment s'écroule.
Historiquement cet argument est faux, car le bloc des neuf provinces des Pays-Bas du Sud a su vivre pendant quatre siècles sans que la vie publique et sociale en Flandre fût francisée, autant qu'elle l'était au siècle passé.
Sur le terrain économique, l'enchevêtrement des intérêts est tel qu'une barrière douanière est inimaginable et ridicule entre Flandre et Wallonie, entre Anvers, Bruxelles, Liège et Charleroi.
En réalité, ce sont des raisons d'ordre économique, politique, diplomatique, religieux, historique et traditionnel, qui sont le fondement de notre unité nationale.
Toutefois, dans l'intérêt même des Flamands, certains correctifs à une flamandisation complète de l'enseignement sont d'une nécessité absolue: notamment le renforcement de l'étude du français comme langue secondaire.
Constamment en rapport dans leurs relations commerciales avec les Wallons, les Flamands seraient handicapés s'ils ignoraient la langue qui peut le plus efficacement favoriser leurs propres intérêts. Inversement d'ailleurs, une connaissance plus approfondie de la langue flamande viendrait bien à point aux Wallons.
En outre la langue française est d'intérêt mondial: les flamingants intelligents sont les premiers à le reconnaître.

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Dans un remarquable article paru dans la Revue Catholique des Idées et des Faits, M. Rubbens affirmait récemment qu'en Flandre, « L'homme dans la rue ne se sent pas opprimé ».
Le mouvement flamand a pour fondement le désir d'une élite d'élever le peuple flamand dans sa voie propre. Le souci de ces responsabilités devrait interdire aux jeunes flamingants qui ont la louable ambition d'être des chefs, à recourir à certains arguments, de mettre sans cesse en épingle des petits faits qui, sans importance réelle, n'ont d'autres fruits que d'exciter maladroitement des passions dangereuses.


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Elevons plutôt le débat. Mettons-y beaucoup de loyauté et de noblesse.
Camarades Flamands ! devant l'effort que nous avons fait pour comprendre les aspirations de votre peuple qui est aussi le nôtre, et pour édifier un programme qui n'est pas une concession ni une aumône, mais au contraire le fruit de méditations sereines, cessez désormais de renier votre nom belge, de huer notre chant national, de défier une Patrie qui vous est nécessaire et dans laquelle peuvent si bien se réaliser vos aspirations et les nôtres.
Et quant à vous, Camarades Wallons, ne vous contentez pas de commenter ces déclarations au coin d'une table de café... Pour certains d'entre vous, ces propos pourront paraître étranges. Nous avons cru pouvoir parler clairement, parce que dans un débat aussi important, toute équivoque doit être bannie. Avant de nous attaquer, pensez que pour assurer l'unité, la grandeur de notre Pays, il faut avoir le courage d'envisager avec une audacieuse prudence des solutions nouvelles.
Elles éviteront peut-être au Pays, des convulsions fatales.

Léon DEGRELLE.
(L’Avant-Garde, 1928)

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